Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la morue fait tellement partie intégrante de l'économie de Rivière-Saint-Paul et des autres villages de la Basse-Côte-Nord que le mot « poisson » devient synonyme de ce poisson de fond vert olive et blanc.
Les pêcheurs de morue du nord du golfe du Saint-Laurent utilisaient des lignes à main ou des sennes coulissantes jusqu'à ce que l'expatrié américain William Henry Whiteley ait l'idée d'un type d'engin de pêche fixe beaucoup plus efficace. « En consultant mes archives, écrira-t-il plus tard, je constate que c'est en 1871 que j'ai pêché pour la première fois la trappe à morue. »
Whiteley s'est appuyé sur la pêche à la trappe pour continuer à développer son entreprise de pêche à la morue sur l'île de Bonne Espérance, à proximité de Rivière-Saint-Paul. Des pêcheurs locaux indépendants ont également adopté la trappe à morue, échangeant du poisson contre des fournitures essentielles avec des commerçants à bord de goélettes en provenance de Québec et de Halifax.
Au fil des générations, les acheteurs de poisson se sont succédé, mais les pratiques de pêche sont restées pratiquement inchangées sur la Basse-Côte-Nord. Hommes, femmes et enfants participaient tous à la préparation de la morue pour le marché : nettoyage, salage, lavage et séchage au soleil. « Dès qu'on était assez grand pour soulever un poisson, on s'y mettait », se souvient Percival Keats, résident de longue date de Rivière-Saint-Paul.
Au fil du vingtième siècle, les prises et les prix de la morue ont continué à fluctuer, engendrant prospérité ou privation. Dans les années 1970 et 1980, les autorités provinciales et fédérales ont entrepris de moderniser les opérations de pêche sur la Basse-Côte-Nord. Le gouvernement du Québec a offert des incitatifs pour remplacer les bateaux ouverts par des palangriers, équipés d'appareils sophistiqués comme des détecteurs de poissons et dotés de quartiers d'habitation sous le pont. Les trappes à morue font place aux filets maillants, aux palangres et aux chaluts. Les capitaines et les équipages suivaient la morue en migration, pêchaient pendant de plus longues périodes et faisaient face aux conditions difficiles en mer de façon plus sûre.
Le gouvernement canadien, quant à lui, a construit des usines pour transformer le poisson frais dans diverses communautés côtières, dont celle de Rivière-Saint-Paul.
L'adoption de nouvelles technologies de pêche et de transformation du poisson a mis fin à la pêche côtière traditionnelle de la morue et au mode de vie qui l'accompagnait, y compris la migration saisonnière des familles vers des maisons situées sur des îles ou des promontoires plus proches des lieux de pêche que les villages du continent.
Dans le calendrier liturgique catholique romain, le 15 août est la fête de l'Assomption, qui commémore la montée au ciel de la Vierge Marie à la fin de sa vie terrestre. En ce jour saint, les fidèles doivent s'abstenir de travailler et assister à la messe. En plus des festins, une bénédiction des récoltes d'été a traditionnellement lieu.
À Terre-Neuve-et-Labrador, la fête de l'Assomption, connue sous le nom de Lady Day, a pris une tournure différente dans les années 1830. À la demande d'un évêque de Terre-Neuve, le pape régnant a autorisé les pêcheurs à prendre la mer le jour de la fête et à collecter des fonds pour l'église en vendant du poisson. Dans de nombreuses communautés, les paroissiens organisaient des soupers et des danses dans les salles paroissiales après la transformation des prises.
Au vingtième siècle, certains habitants de Rivière-Saint-Paul ont donné une nouvelle tournure à Lady Day. Ils ont introduit Ladies Night (La soirée des femmes) sur l'île Caribou et à Baie Salmon le 15 août pour célébrer la saison de la pêche avec une trappe à morue. Des invités venus d'aussi loin que Blanc Sablon ont visité successivement plusieurs maisons pour faire la fête et danser sur des airs joués par des accordéons, des violons et des orgues à bouche.
« Mon grand-père et mon père ont été les fondateurs de Ladies Night sur l'île Caribou », se souvient Tony Roberts. « Mon père m'a dit que c'était l'occasion de célébrer la chance qu'ils avaient eue à la pêche.
« Où est le lien avec les femmes ? Les femmes — ma mère, par exemple — travaillaient plus dur que les hommes. Elles cuisinaient, elles nettoyaient. Elles servaient les sharemen [membres de l'équipage de pêche qui partageaient les profits avec le propriétaire du bateau] — elles préparaient leurs repas, lavaient leurs vêtements. Et il n'y a avait pas d'appareils ménagers modernes. Ensuite, elles descendaient et aidaient à nettoyer le poisson. Ma mère était responsable de la décapitation de la morue. Donc, si la saison était bonne, les femmes faisaient la fête autant que les hommes.
« Je me souviens très bien de Ladies Night. Ils avaient de la liqueur de gnôle. Et ils avaient des danses carrées. Mon père jouait du violon ; il était très bon. »
Percival Keats se souvient aussi de Ladies Night — des fêtes de cuisine chez son oncle George et chez son oncle Levi à Baie Salmon. « Des gens de Terre-Neuve qui pêchaient dans des goélettes ici se joignaient à nous. Certaines soirées étaient sauvages ! »
La fin de la pêche avec une trappe à morue il y a des décennies a mis fin à Ladies Night.
« C'était une grande, grande occasion », dit Tony Roberts avec nostalgie. « C'est dommage que la tradition ait disparu ».